Jocelyn Cottencin

Larys Frogier, 2007

Larys Frogier, 2007
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Larys Frogier, 2007

Est-il possible d'écrire sur une œuvre dont le principe de création est de développer un devenir permanent, c'est-à-dire une forme suffisamment ouverte pour autoriser les porosités, les rencontres et les collaborations, mais aussi la flânerie solitaire, le détournement et le contournement, les extensions comme les suspensions, les accélérations et les pauses, les proliférations comme les cristallisations ?

Ecrire à un endroit où l'œuvre n'est déjà plus. Abandonner la prétention à cerner une production artistique qui n'a de raison d'être que dans la fluidité et la mutation.
Les images produites par Jocelyn Cottencin représentent non pas ce qu'elles montrent mais ce qui est déjà hors-champ. D'autres se distendent dans une pause suspensive jusqu'à la perte narrative d'une réalité qu'elles sont sensées représenter. 
Les œuvres de l'artiste travaillent aussi l'écriture où les lettres s'agglomèrent, non pas pour formuler graphiquement ou signifier uniquement, mais pour fabriquer un plan de consistance fait d'embranchements, de ruptures, sinuosités, agglutinations, stratifications, délitements...

Au regard de l'œuvre de Jocelyn Cottencin, il nous faut alors accueillir l'écriture comme l'acte du « laisser partir » où les mots produiraient d'autres flux venant à certains moments croiser et résonner avec le travail.
Car il faut bien le reconnaître : le graphisme et l'œuvre visuelle chez Jocelyn Cottencin questionnent les lieux du pouvoir. Perdre le pouvoir pour pouvoir : faire, déplacer, traverser, construire... Et c'est à cet endroit que nous entrevoyons le véritable enjeu politique d'une esthétique du devenir. Le « lâcher prise » manifeste le refus d'une forme achevée de l'image et de l'écriture, en même temps qu'elle résiste à toute délimitation et prise de territoire. Cette esthétique du devenir est une praxis artistique et politique. Paradoxalement, l'œuvre en devenir n'a rien à voir avec l'influence d'une chose sur une autre, ou avec la perméabilité au tout et au n'importe quoi. Elle nécessite une prise en charge pleine et entière de la transformation permanente. Elle exige une vigilance extrême aux événements. Elle est un acte d'engagement en elle-même. Acte discret, modeste, parfois invisible, mais combien subtile, efficace et résistant lorsqu'il est assumé dans cette disponibilité radicale à l'ailleurs.
Non pas que l'œuvre serait trop absorbante et influençable jusqu'à s'oublier dans une dilution extrême de l'extériorité. Bien au contraire. Jocelyn Cottencin a ainsi conçu un projet artistique baptisé Just A Walk dont l'enjeu central est de se tenir volontairement sur le fil d'une négociation constante entre la traversée d'événements réels et leur extension vers des espaces autres. C'est une forme ouverte par sa générosité d'accueil, mais aussi une forme éminemment résistante par sa capacité d'infiltration, de retournement des contraintes et des possibles. 
L'exposition à l'épreuve de la diffusion
La diffusion pointe l'extériorité et la propulsion vers... Mais plutôt qu'une exposition, elle indique une imprégnation discrète des espaces et des territoires. Autrement dit, la diffusion brouille les désignations, présentations, indexations, démonstrations et délimitations.
Dans l'espace de La Criée, le projet Just A Walk se déploie selon un dispositif particulier de visibilité. En effet, Jocelyn Cottencin a conçu un accrochage qui résiste très efficacement au concept d'exposition d'une spatialité ostentatoire, séduisante et spectaculaire. 
Le lieu est avant tout un agencement de sources diffuses : émissions lumineuses et zones sombres, évocations ou transmissions sonores, silences, association d'images photographiques avec de larges trouées d'espace vide, ou encore écoulement très lent d'un seul flux vidéographique, écriture sur le mur d'exposition laissant affleurer - presque par effacement - une masse de mots faisant paysage, ou au contraire fabrication d'une sculpture irradiante de mots au néon engageant autant sa massification que sa dissémination en puissance.
L'ensemble de ces œuvres constituent un environnement paradoxal, c'est-à-dire un bloc tout à la fois unitaire et fragmenté, feuilleté, dispersé. 
L'autre caractéristique de l'exposition Just A Walk est qu'elle ne propose pas tant un espace immersif que l'expérience d'extensions temporelles où les vitesses de présentation des images varient considérablement d'une œuvre à une autre, où les strates de matières visuelles, sonores, textuelles s'agglomèrent pour mieux se distendre. 
Le visiteur déambule ainsi en opérant les bascules d'une œuvre à une autre, ou encore en acceptant de se "pauser" devant une œuvre. Mais plus fondamentalement, la déambulation du visiteur s'apparente à la flânerie dans ce qu'elle a pour enjeu une curiosité aux failles et aux interstices de l'exposition, c'est-à-dire à ce qui se joue non pas face à l'image, mais dans ce qui se trame en ses marges, entre, ailleurs et hors-champ. 
Just A Walk est en quelque sorte une proposition artistique qui invite à une expérience de l'aveuglement plutôt que de la clairvoyance. Aveuglement au sens où l'artiste refuse la pratique d'exposition comme démonstration visuelle et explication de texte. Aveuglement car certaines œuvres abandonnent leur statut exclusif d'objet visuel pour produire des extensions multi-sensorielles. Aveuglement enfin parce que, après les avoir vues, les œuvres ont un fort pouvoir de rémanence et génèrent donc chez le spectateur la construction d'autres images mentales.La diffusion est aussi affaire de chevauchements : ça déborde là où on s'y attend le moins. 
Ainsi, l'œuvre Paysage (2007), large caisson lumineux solidement ancré dans le sol de la galerie, éclaire la photographie d'un plateau d'Ecosse, vaste étendue aride balayée par le vent et les nuages. Mais ce n'est pas tout. La lumière qui se diffuse du caisson photographique irradie discrètement vers une masse flottant sur une des parois du centre d'art : il s'agit d'un dessin mural réalisé par l'artiste au graphite, dessin esquissant un bloc en cours de formation, suggérant un mouvement, une modulation, un surgissement ou au contraire un effacement. De cette masse affleure l'inscription suivante : Alors, il y a cette île. 
D'où cet autre constat de débordement : le dessin échappe à sa propre condition de disegno c'est-à-dire à la tentative d'une représentation parfaite et idéale de la réalité. En premier lieu, le dessin n'est pas une ligne mais une masse informe. Ensuite, lorsque le dessin devient tracé, il le devient dans sa seule condition d'écriture. Ce tracé en écriture porte en lui-même un autre paradoxe : il acquiert une dimension graphique non pas simplement pour faire signe, décrire et faire sens, mais plutôt pour visualiser l'amorce d'une dissémination de la lettre et de l'image. En effet, la typographie « racine » conçue par Jocelyn Cottencin engage l'œuvre dans un processus de prolifération et de transformation. Le dessin, le graphisme et l'écriture se ramassent donc dans la qualité matérielle de l'informe et dans l'acte performatif d'énonciation plutôt que dans celui de la description ou de l'explication. Ou comment visualiser l'en-deçà de l'écriture et de la représentation visuelle. 
L'énoncé lui-même, « Alors, il y a cette île », n'a rien d'un récit explicite : à l'inverse d'une indication exotique, il rend sensible un ailleurs, une insularité directement inscrite dans le bâtiment du centre d'art et au cœur de la construction subjective du visiteur. L'ailleurs ça a lieu ici-là : souci de soi et fabrique de l'art. Avec la proposition de Jocelyn Cottencin, c'est la notion de territorialité possédée et définie qui s'effondre au profit des qualités propres à l'insularité qui sont celles de la dérive bénéfique, de l'ouverture à l'étrangeté, du passage entre des espaces forcément contradictoires. 
Faire image... sans faire
Intérieur (2007) est une œuvre vidéo qui possède la qualité rare de toucher la possible fabrique d'une image au-delà d'une maîtrise intentionnelle de conception et de composition de la forme. Le film dévoile sur une durée de dix minutes un paysage maritime et insulaire en formation. La valeur artistique d'Intérieur n'est pourtant pas à trouver dans une représentation de paysage mais dans une disponibilité au déplacement qui autorise la formation d'espaces multiples. Intérieur fait ainsi œuvre en laissant advenir l'image avec ses strates, ses opacités et ses transformations inattendues...
La caméra est postée à l'intérieur d'un bateau qui rejoint une des nombreuses îles d'Ecosse. Elle demeure fixe, derrière la paroi vitrée de l'embarcation sur laquelle ruissellent les gouttes d'une pluie plus ou moins dense selon l'écoulement temporel de la traversée. L'artiste enregistre de l'intérieur du bateau mais tout se déroule déjà hors bord, dans une stratification impressionnante de l'image. Premier pelliculage : l'objectif de la caméra vidéo est doublé en opacité par la vitre du bateau, vitre elle-même troublée par les gouttes de pluie. Second pelliculage : la mer est moins une ligne d'horizon qu'une matière en transformation, parfois épaisse et compacte, parfois fluide, traversée de frissonnements et d'ondulations. Troisième pelliculage : le brouillard occulte et dévoile sur certaines durées l'île en arrière-plan, fusionne par moments avec l'océan et, dans tous les cas, empêche toute représentation contrôlée du paysage... Une masse à perte de vue... Quatrième pelliculage : alors il y a cette île, qui émerge très lentement du fond de l'image pour ensuite se dissoudre dans la brume et se redessiner enfin... Une île qui semble hors d'atteinte de la vue et en même temps à portée de main...
Il va de soi que ces pelliculages se condensent, se chevauchent et se distendent à l'intérieur d'une seule et même image mouvante. Cette forme en devenir déplace le paysage vers une étendue hétérogène et paradoxale : le lieu existe dans son déplacement même... 
Intérieur est une œuvre qui trouve une mise en regard pertinente avec la belle pensée de Michel Foucault lorsque ce dernier use de la métaphore du bateau pour évoquer l'hétérotopie :
« Le bateau c'est un morceau flottant d'espace, un lieu sans lieu, qui vit par lui-même, qui est fermé sur soi et qui est livré en même temps à l'infini de la mer et qui, de port en port, de bordée en bordée, de maison close en maison close, va jusqu'aux colonies chercher ce qu'elles recèlent de plus précieux en leurs jardins, vous comprenez pourquoi le bateau a été pour notre civilisation, depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, à la fois non seulement, bien sûr, le plus grand instrument de développement économique (ce n'est pas de cela que je parle aujourd'hui), mais la plus grande réserve d'imagination. Le navire, c'est l'hétérotopie par excellence. Dans les civilisations sans bateaux, les rêves se tarissent, l'espionnage y remplace l'aventure, et la police, les corsaires ».
Intérieur est une œuvre qui transborde la territorialité. Le bateau, s'il est étrangement absent de la vidéo, est pourtant celui qui procède à la fabrique l'image. Mais le bateau c'est aussi soi-même, une collectivité, ou encore un lieu d'art, un artiste, un visiteur. Le véritable tour de force d'Intérieur est de localiser les enjeux du territoire à l'opposé de la possession d'espace et de la démonstration de force. Œuvre discrète, son efficacité tient dans sa capacité d'infiltration et d'ouverture.Le transbordement de la territorialité chez Jocelyn Cottencin n'est pas simplement acté et visualisé dans l'espace d'exposition. Ce dernier est un des espaces parmi d'autres - panneau d'affichage, mur, bâtiment public, site internet, revue, livre... - qui sont investis pour traverser et prendre en charge les lieux du pouvoir. L'enjeu artistique de la territorialité aujourd'hui n'est plus de se positionner dans un rapport binaire de l'espace du dedans ou du dehors. La friction dichotomique in/out avait sa pertinence dans les années 1960, et encore... L'art de la critique institutionnelle avait commencé à brouiller efficacement les pistes, notamment dans les écrits et inserts de magazines de Dan Graham, ou encore avec les altérations architectoniques de Michael Asher. Le réel défi aujourd'hui est d'infiltrer des lieux du pouvoir qui sont parfois très difficiles à discerner tant ils ne sont plus sous le contrôle d'une autorité identifiable et exclusive. De fait, plutôt que de prétendre détenir l'espace ou de s'y opposer à tout prix, il est plus pertinent de s'immiscer dans des fragments d'espaces afin d'y infiltrer une part de rêve, un questionnement, un soulèvement critique discret mais prégnant.
Spécificité du site et après...
Jocelyn Cottencin a conçu en 2003 une typographie, la floréale, qui a pour particularité de faire proliférer un motif végétal dont certaines trouées laissent apparaître en réserve le lettrage. Cette typographie a été utilisée pour créer l'oeuvre La consommation d'oxygène est différente d'un individu à l'autre (2004) : œuvre graphique, la déclaration ou le statement trouve sa pertinence dans ses déclinaisons multiples au moyen de divers matériaux (craie, adhésif, affiche), sur des supports variés (cimaises d'exposition, murs d'espaces publics, panneaux publicitaires) et dans différents lieux (galerie, rue, école...). Légère dans sa matérialité, elle mise toutefois sur un fort pouvoir de déplacement des usages de l'espace et des territoires. 
La première occurrence eut lieu lors d'une exposition monographique réalisée par le Frac Bretagne en 2004 à la galerie du TNB : La consommation d'oxygène est différente d'un individu à l'autre se déployait à partir d'adhésifs dorés collés sur le mur blanc de la galerie. Elle était la première œuvre qui accueillait le visiteur dans l'exposition, non pas de manière frontale mais pour ainsi dire en coin d'œil : la phrase qui se déployait sur le mur latéral accompagnait l'entrée du visiteur dans l'espace d'exposition ; d'autre part, avec cette déclaration particulière, le mur ne faisait plus uniquement office de paroi de séparation mais plutôt d'interface ou d'embrayeur de passages entre le cœur du bâtiment à vocation culturelle, la vaste façade vitrée offrant une vision panoramique sur l'activité urbaine du dehors et l'exposition composée d'œuvres de l'artiste ayant à voir avec le déplacement, la pause, l'expérience corporelle collective, la flânerie. La consommation d'oxygène est différente d'un individu à l'autre pouvait ainsi être appropriée par le visiteur comme un basculement poétique vers des espaces en creux, à la manière du lettrage inscrit en réserve, zones de flottement et d'indécision. L'œuvre avait également cette capacité d'objet auto-critique vis-à-vis des conditions de visibilité du travail dans un espace donné, en même temps qu'elle offrait la possible expérience d'un espace mental. 
La seconde occurrence se produisit la même année 2004, lorsque Nathalie Travers, dans le cadre du projet curatorial Allotopie, invita plusieurs artistes à intervenir dans l'espace public. Jocelyn Cottencin proposa d'inscrire son statement à la craie blanche sur un mur porteur d'un pont de voie ferrée et planté à un vaste carrefour de circulation automobile et piétonnière. Dans le paysage de la ville, la voie ferrée et ce passage sous le pont constituent des éléments architectoniques et symboliques forts dans l'usage collectif de l'espace urbain de Rennes : ils opèrent la distinction nord-sud de la ville, la bascule du centre commerçant vers un quartier d'habitations en lente transformation. Il y a aussi un frottement imaginaire de noms entre la ville de Rennes et la celle de Nantes - ce lieu public étant baptisé du nom de "Pont de Nantes". Anonyme et quelque peu froid, cet espace public est toutefois toujours investi d'une intense activité humaine qui privilégie la circulation massive des voitures, des trains et des piétons. Personne ne s'y attarde si ce n'est les automobilistes bloqués dans des files d'embouteillage, ainsi que les piétons qui transitent du centre ville à ce quartier mixte d'habitations des années 1930, de bars et de rares petits commerces. 
Le mur que Jocelyn Cottencin choisit d'investir sous ce pont de Nantes était jusque-là saturé de graffitis et d'affiches collées à la sauvage pour annoncer des concerts ou interpeller le passant de slogans politiques. Le recouvrement de cette paroi d'images et de textes s'effectuait à un rythme rapide et concurrentiel, l'information devant être percutante et le visuel souvent provocateur pour espérer subsister quelques jours. Puis arriva cette écriture graphique réalisée à la craie, inscription fragile car soumise à son possible effacement naturel ou délibéré. Fragile aussi car elle prenait volontairement le risque d'être recouverte des futures strates de mots et d'images. Il n'en fut rien... pendant deux années et demi. L'œuvre se déployait sur une large surface du mur mais, paradoxalement, elle se voulait discrète, comme un bruissement de mots et de feuillages, ou encore un nuage blanc. Elle avait aussi comme autre pouvoir de fragilité, de révéler à nouveau le mur dans sa nudité et sa matérialité même, recomposant un endroit de respiration là où tout n'était que saturation, recouvrement et succession effrénée. Du moment où le statement a été posé, aucun autre graphique ne vint perturber cet espace jusqu'au printemps 2007. Une forme tacite de respect, non pas tant de l'œuvre, que de l'espace social devenait soudainement possible, comme si l'œuvre de Jocelyn Cottencin reconnaissait la portée fonctionnelle et imaginaire de cet espace, et qu'en retour les usagers de cet espace entreprenait de le traverser comme tel. L'œuvre fut endommagée au printemps 2007, lors de la campagne présidentielle, un slogan politique venant recouvrir en partie le graphique. La violence de ce slogan conduisit Jocelyn Cottencin à décider de l' ;effacement et du retrait de l'œuvre. L'œuvre puise sa résistance dans son pouvoir à tenir du lien, et non dans une quelconque réaction nihiliste. 
La consommation d'oxygène est différente d'un individu à l'autre est une œuvre qui propose une double posture critique. La première est de rendre caduque la prétention idéaliste de l'art à promouvoir dans l'espace public une pérennité méta-temporelle et sacralisée de l'œuvre ou du monument : l'œuvre de Cottencin s'inscrit dans une spécificité de site, une temporalité quotidienne et un usage social des espaces. Ce qui ne l'empêche pas d'opérer des interstices d'imaginaire et de produire une poétique de l'étendue et de la distension temporelle. La seconde posture de résistance, et là est peut-être la grande différence avec l'art des années 1970, est de résister à une utopie inverse, c'est-à-dire de croire qu'une œuvre d'art qui prendrait en charge la spécificité d'un site serait capable de révéler entièrement les frictions sociales, les aléas politiques du moment, de les dénoncer, voire de les résoudre. Un tel art prendrait le risque d'être tout aussi dogmatique et utopique que celle de l'idéalisme, mettant du coup l'œuvre au service des idéologies. La grande force de l'œuvre de Cottencin est alors de considérer la spécificité du site à partir de ses usages quotidiens et de ses détournements idéologiques, et dans le même temps d'impulser une autonomie de négociation et d'exploitation des espaces par les usagers eux-mêmes. La reconnaissance d'une telle autonomie du regard et de construction des espaces rend alors possible l'accès au territoire dans ses potentialités autant esthétiques que politiques. 
Si les visuels et slogans habituellement étalés sur ce mur génèrent un brouhaha publicitaire, contestataire et dénonciateur vis-à-vis de systèmes idéologiques, l'œuvre de Cottencin pointe silencieusement que le contrôle et la résistance se jouent désormais là-même où la parole s'énonce, dans le plus insignifiant de nos usages des espaces et des modes de communication. Comme l'observe parfaitement Gilles Deleuze, 
« Nous entrons dans des sociétés de contrôle, qui fonctionnent non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée (...) Peut-être la parole, la communication sont-elles pourries. Elles sont entièrement pénétrées par l'argent : non par accident mais par nature. Il faut un détournement de la parole. Créer a toujours été autre chose que communiquer (...) Croire au monde, c'est ce qui nous manque le plus ; nous avons tout à fait perdu le monde, on nous en a dépossédé. Croire au monde, c'est aussi bien susciter des événements mêmes petits qui échappent au contrôle, ou faire naître de nouveaux espaces-temps, même de surface ou de volume réduits. C'est ce que vous appelez pietàs. C'est au niveau de chaque tentative que se jugent la capacité de résistance ou au contraire la soumission à un contrôle. Il faut à la fois création et peuple. »
L'œuvre de Jocelyn Cottencin « croit au monde » et a ce pouvoir d'embrasser des territoires pour faire émerger des espaces-temps ouverts à la transformation et à la création. Just A Walk est en ce sens un projet dense et complexe car il manifeste autant une humilité de relations aux gens et aux territoires qu'une très forte exigence de vigilance politique.
Just A Walk  : déplacements, énergies, collaborations, agencements, proliférations
En 2005, La Criée centre d'art contemporain de Rennes invita Jocelyn Cottencin à concevoir et réaliser sur deux années un projet qui soit dans une disponibilité de circulation mais aussi dans une posture de questionnement sur le territoire de l'Europe occidentale, notamment à partir du réseau des villes européennes de l'arc atlantique comme Glasgow, Rennes, San Sebastian, Bilbao, Porto, Lisbonne. 
L'artiste répondit à cette sollicitation avec Just A Walk, un projet qui est à l'exact opposé d'une prétention à marquer ou à définir les territoires de l'art et ceux de l'Europe. Il engagea d'emblée l'activation d'un double processus de recherche et de création. Le premier consista à impulser une énergie de travail en solitaire et avec d'autres artistes européens, énergie qui pouvait se décliner en un site internet s'augmentant au fur et à mesure des propositions artistiques des uns et des autres, des sessions de recherche menées à Rennes, des rencontres réalisées lors de résidences dans les villes européennes citées ci-dessus, ainsi que de documents d'entretiens et d'un journal du critique d'art Jean-Marc Huitorel. L'ensemble constitue aujourd'hui un agrégat protéiforme porteur de sa transformation en puissance. Il esquisse une territorialité mouvante où la topographie européenne se décline non pas à partir d'identités culturelles fixes et globalisantes, mais selon des croisements de points de vue singuliers qui questionnent nos constructions collectives, imaginaires et identitaires.
Just A Walk rassemble ainsi des propositions artistiques diverses telles que Vocabulario, œuvre de collaboration entre le chorégraphe lisboète Tiago Guedes et Jocelyn Cottencin, ayant pour enjeu la fabrique de topo-graphies à partir du corps et de la lettre. La caméra filme en plongée le chorégraphe actif dans l'énoncé performatif d'un alphabet au moyen de son corps et de vêtements. Exposé sur une série de moniteurs, ces lettrages incarnés produisent une formation-déformation continue des signes. En effet, ceux-ci semblent totalement autonomes les uns des autres, tout en étant intimement liées les uns aux autres. D'autre part, leur visualisation n'atteint jamais la cristallisation d'un mot où prévaudrait la transparence du sens. Il s'agit plutôt d'un mouvement incessant par effets de vagues qui tente l'énoncé de la lettre et du mot, sa signifiance et sa disparition inévitable. La parole nous échappe toujours. Le corps, dans son mouvement et son énergie, est inévitablement rétif au contrôle. L'espace est ce qu'il advient dans son usage et sa nécessaire projection mentale. Vocabulario visualise en corps et en lettres combien l'exploration du territoire ne prend pas sens dans l'occupation d'un espace mais plutôt à l'endroit où se manifestent les échappées, glissements, liens et possibles délitements. 
Il y a aussi les vidéos et photographies de Marcel Dinahet, œuvres forces d'un entêtant enregistrement des endroits qui font passage ou séparation entre les pays et les gens. Les ponts, par exemple, sont des architectures manifestes d'une territorialité européenne qui posent la question du lien et de l'exclusion. Investis d'une intense circulation humaine, les ponts situés aux frontières de pays comme la France et l'Espagne sont des endroits de bascules où s'actent les histoires individuelles et collectives. La manière brute dont Marcel Dinahet filme les trajectoires ininterrompues de corps et d'automobiles, construisent et sculptent même une matérialité de l'espace tout ménageant sans cesse des percées vers une altérité et une étrangeté. L'artiste a également réalisé de magnifiques vidéos du littoral européen, notamment de jetées maritimes sur lesquelles déferlent en continu des vagues, laissant apparaître ça et là des points de présence humaine. Ces vidéos des bords de mer sont loin de se réduire à des paysages romantiques. Elles rendent particulièrement sensible en quoi l'Europe du littoral, cet Arc Atlantique bute et ouvre sur ce qui n'est plus de l'ordre de la frontière mais sur une vaste étendue maritime qui génère bien des soulèvements imaginaires, des espaces politiques liés par exemple aux migrations entre l'Afrique et l'Europe, ou encore des plongées vers d'autres territoires fantasmés. 
Just a Walk c'est aussi des centaines d'images accumulées par Jocelyn Cottencin au gré de ses déplacements sur le littoral atlantique européen. Comme l'indique le titre du projet, marcher tout simplement c'est expérimenter des trajectoires inconnues à l'opposé du circuit linéaire, peut-être pour mieux accueillir des rencontres inattendues et constructives. C'est aussi accepter d'abandonner des habitudes de circulation, des rituels de travail qui circonscrivent parfois des espaces aux frontières trop contraignantes. 
Ce qui resurgit alors des photographies ou vidéos issues de ces marches, ce sont des images juste décalées, c'est-à-dire des images qui sont sensées documenter un lieu mais qui contiennent tout autre chose. La disponibilité de l'artiste aux événements extérieurs ne suffit pas à créer de la belle matière documentaire ou fictionnelle. Derrière des situations concrètes banales - un visage endormi, un pas suspendu, un groupe de personnes errant sur le sable - il y a du flottement et de la suspension qui retournent la réalité contre elle-même au profit d'une poétique des espaces en devenir. Derrière la lenteur d'un mouvement, autour de la rondeur d'une forme, sourd une posture critique qui résiste à toute forme de séduction facile, ainsi qu'à toute prétention de vérité et de pouvoir autoritaire. Au regard des œuvres de Jocelyn Cottencin, il serait vain de désigner des lieux, tracer des géographies, cerner des parcours... Ce qui est au cœur du processus de création, c'est l'abandon d'une maîtrise du regard au profit d'une tentative forcenée de former des images renfermant déjà un ailleurs que ce qu'elle donne à voir. Là est la réelle prise de risque artistique.Et si le territoire n'était finalement qu'une histoire de croyance, une utopie nécessaire ?
Le désir de circulation généré par le projet Just a Walk ne relève pas d'un désir de rencontrer l'autre pour définir un territoire idéal et uniforme. Just a Walk est un projet où la friction, la différence et la contradiction ont leur place. Provoquer la rencontre et l'ouverture est un réel engagement personnel et politique envers et avec l'autre. C'est prendre le risque de la tension et de la rupture mais aussi celui de la construction et du possible.Michel Foucault, « Des espaces autres » (1984) in Dits et écrits, vol.IV, Paris : nrf/Gallimard, 1994, p.762.
rGilles Deleuze, Pourparlers, Paris : Minuit, 1990, p.236, 238, 239.
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