Jocelyn Cottencin

Monumental au Théâtrorama

Monumental au Théâtrorama

« Monumental » : qui est remarquable, étonnant, par ses dimensions démesurées ; qui fait figure d'exception ; mais aussi : qui vient prendre part à un ensemble décoratif, appelé « monument ». « Monument » : ouvrage architectural érigé ; édifice sculpté ; mais surtout : du latin « moneo » qui lie le terme à la temporalité, désignant autant « faire se souvenir » qu'« informer » ou « avertir ». C'est le socle, entre trace et référence, choisi par Jocelyn Cottencin et douze performers pour interroger la mémoire, et faire œuvre à partir d'elle.

Pour Jocelyn Cottencin, il est de monuments de mots. Ce sont ceux prononcés à la criée comme on donnerait un prénom à un nouveau-né, émergeant de formes, de couleurs, de matières. Parfois, le mot est seul ; parfois, il s'assemble en combinaisons de deux ou trois, connotant ou dénotant, renvoyant ou annonçant. Ils s'énoncent dans une nudité partielle, ou plutôt dans un camouflage fragmentaire. Ils sont les signes d'un échafaudage solide ou fragile qui prend naissance ou renaissance, qui s'appuie sur des vestiges pour se bâtir in situ, ou qui se dresse par intuitions. À travers eux, une œuvre – l'idée ou l'îlot d'une image – se devine plus qu'elle ne se montre.

Ces mots choisis, une dizaine, font référence à des lieux, des êtres, des formes, des notions et des chiffres. Chacun à leur tour, les membres emmêlés dans une structure à venir et en mouvement, ou déjà venue et immobile, les performers disent et font : « Bunker », « Citadelle », « Bourse du travail », « Cathédrale », « Château d'eau » puis « Rodin », « Du Guesclin », « Richard Long », « Mercure », puis encore « Triangle », « Quatorze, dix-huit », et aussi, « La paix ». Ces mots et les figures qu'ils dessinent constituent les fragments d'un ensemble connu : ils sont à la fois les détails et les contours, des éléments de masse, chaque pierre d'un bloc indissociable. Chacun est une unité indispensable à un tout. Et chacun est l'incarnation du mot et de l'accord, du pan de l'histoire qu'il va révéler et souligner.

"Corps patrimoine"

Il est donc également de monuments de corps. L'espace que Jocelyn Cottencin construit lentement est celui de l'instant comme celui de l'art et de l'artifice. Et ce sont des corps, qu'il appelle « corps patrimoine », qui sont chargés de libérer ce qui appartient à une conscience collective, comme le chorégraphe l'explique : « La réinterprétation des monuments est étudiée autour de quatre axes de travail afin qu'émerge l'endroit de circulation, de brassage et de partage de l'imaginaire des signifiants : le récit contenu dans chaque œuvre, la forme de celle-ci ainsi que son environnement, le visage, la figure et l'architecture. » Il ne s'agit donc pas tout à fait de recréer, mais plutôt d'intimer, à travers ces matériaux, quels sont les indices caractéristiques de chaque œuvre appartenant à notre patrimoine pour les élever en critères de reconnaissance d'une histoire générale et aussi d'une histoire particulière : celle de l'art.

Pour cet éveil, il n'est pas de scène à proprement parler – le public contourne ce qui est en train d'être composé face à lui – mais un cadre au sol rappelant les cadres de tableaux grand format. Tout autour de cette structure plane et horizontale, des vêtements sont disposés par teintes, suivant une palette arc-en-ciel rehaussée de blanc et de noir. La musique a précédé la performance ; c'est un grand silence qui laissera les monuments s'ajuster. Couche après couche, les douze performers se vêtent et se dévêtent sans particularités de sexes ni de tailles, des gants aux pieds, des jupes en bonnets, des imperméables voilant les jambes, poitrines, fesses, orteils à découvert. Par un jeu de structuration et de déconstruction, les corps qui se rejoignent entrent dans l'histoire et dans la narration, faisant pénétrer au cœur de la toile collective les bâtons de bois qui servaient à délimiter les rebords du tableau.

Pris isolément, ils peuvent être perçus comme de simples couleurs et des pigments à référentiels passés ou contemporains. Par moments, ils utilisent des voiles de couleurs faisant office d'aplat de toiles. À d'autres moments, ils suggèrent via des diagonales ou des compositions fermées la violence des motifs qui se lient bestialement, sensuellement, sensiblement pour la réalisation de chaque monument. En transformation permanente, sculptures et plans sont œuvres vivantes, utilisées par Jocelyn Cottencin pour bouleverser les codes de la réception, et donc ceux de la perception.

Cathia Engelbach

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